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 Chap. XLIV

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Meleagre
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Meleagre


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MessageSujet: Chap. XLIV   Chap. XLIV EmptyLun 13 Mai - 18:11

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Chap. XLIV Xliv10

Citation :

Après avoir montré que la providence existe et ce que c'est que la providence, il nous reste à dire quel est son objet. Est-ce l'universel, ou le particulier, ou bien encore l'universel et le parti culier tout ensemble ?

Platon pense que la providence comprend l'universel et le particulier; mais il prétend qu'il y a trois providences différentes. La première est propre au Dieu suprême. Ce Dieu s'occupe d'abord des idées ; ensuite du monde tout entier, du ciel, des astres et de tous les êtres, c'est-à-dire des genres, de la substance, de la quantité, de la qualité, des autres choses de cette espèce, et des formes qui y sont affectées. Quant à la production des vils animaux, des végétaux, de tout ce qui naît et qui meurt, elle dépend de la providence des divinités inférieures qui circulent dans le ciel, et dont Aristote place l'origine dans le soleil et dans le cercle du zodiaque. Enfin, il attribue à une troisième providence l'administration et le succès des actions, la direction de tout ce qui a rapport à la vie, la répartition des biens et des maux matériels, qui arrivent naturellement, et qui sont pour les hommes des moyens d'action. Il fait dépendre cette troisième providence de certains génies qui sont dispersés sur la terre, et qui sont préposés à la surveillance des actions des hommes. Selon lui, la seconde et la troisième providence sont subordonnées à la première, afin que tout soit compris dans le gouvernement du Dieu suprême qui a établi les agents providentiels du second et du troisième ordre.

On doit louer Platon d'avoir tout rapporté à un seul Dieu, et d'avoir dit que toute providence dépend de sa volonté : mais on ne peut approuver ce qu'il dit d'une seconde providence, qu'il attribue à des êtres divins qui circulent dans le ciel. Car ce n'est plus là une providence, c'est plutôt une fatalité ou une nécessité ; puisqu'il est tout-à-fait au pouvoir de ces êtres que les choses arrivent nécessairement, ou qu'elles n'arrivent pas. Or, nous avons déjà démontré que rien de ce qui dépend de la providence n'est soumis à la nécessité.

Les Stoïciens, en établissant que toutes nos actions sont réglées par la fatalité ou par notre libre arbitre, n'y laissent pas la moindre prise à la providence ; et même, ils suppriment réellement le libre arbitre, ainsi que nous l'avons fait voir précédemment.

Démocrite, Héraclite et Epicure prétendent qu'il n'existe de providence, ni pour l'universel, ni pour le particulier. En effet, Epicure a dit : « L'être heureux et immortel n'a aucun souci, et n'en donne aucun à personne : il n'éprouve donc ni colère, ni reconnaissance, puisque ces choses dérivent de la faiblesse. D'ailleurs, les Dieux ne peuvent pas ressentir de colère; car la colère résulte de la contrariété : or, un Dieu ne peut pas rencontrer de contrariété. » Ces philosophes sont, en cela, conséquents avec leurs principes. Comme ils pensent que tout l'univers est le résultat du hasard, ils ont raison de dire que rien ne se fait par l'intervention de la providence. Quel pourrait être l'administrateur d'une chose qui n'a pas eu de créateur ? Il est évident, aussi, que le hasard doit présider à la manière d'être de ce qui a été produit par lui. Par conséquent, c'est le principe d'où ils partent qu'il faut combattre : une fois ce principe renversé, nos arguments précédents suffiront pour montrer l'existence de la providence. Laissons donc leur réfutation à un autre temps, et passons à l'examen de l'opinion d'Aristote , et de ceux qui pensent, comme lui, que la providence ne s'applique pas aux choses particulières.

Aristote prétend que les choses particulières sont réglées par la nature, et il expose cette opinion dans le sixième livre de sa morale à Nicomaque. Comme cette nature est divine, et qu'elle exerce son empire sur toutes les créatures, elle inspire à chacune d'elles de la sympathie pour les choses utiles, et de l'antipathie pour les nuisibles. Car chaque animal recherche, ainsi que nous l'avons dit, la nourriture qui lui est propre, il poursuit ce qui lui est utile, et il connaît naturellement les remèdes de ses maladies.

Euripide et Ménandre disent en plusieurs endroits de leurs ouvrages, que l'intelligence qui se trouve dans chaque homme, est pour lui, une sorte de providence, mais qu'il n'y a pas pour l'homme de providence divine. Or, l'intelligence ne peut se montrer que dans les choses qui dépendent de nous, c'est-à-dire dans celles qui ont rapport à la pratique, aux arts et à la contemplation ; tandis que la providence a pour objet les choses qui ne dépendent pas de nous, comme, par exemple, de déterminer si nous serons riches on pauvres, bien portants ou malades : mais l'intelligence n'a aucune prise sur ces choses ; la nature même n'en a pas, selon Aristote : car les œuvres de la nature sont évidentes. En quoi paraît donc l'œuvre de l'intelligence ou celle de la nature, lorsqu'un meurtrier est puni, ou lorsqu'il échappe au supplice ? à moins qu'on ne dise que ce qui a rapport à l'intelligence et à la nature dépend de la providence, et que ce qui vient ensuite dépend de la fatalité. Mais si les œuvres de l'intelligence et celles de la nature appartiennent à la providence, tandis que leurs conséquences appartiennent à la fatalité, nous η avons plus rien en notre pouvoir. Or, il n'en est pas ainsi : car nous avons montré que les œuvres de l'intelligence tant celles de théorie que celles de pratique, sont en notre pouvoir. Tout cè qui dépend de la providence ne se fait pas par la nature, bien que tout ce qui se fait par la nature dépende de la providence. En effet, plusieurs des choses qui arrivent par la providence ne sont point des œuvres de la nature, comme nous l'avons montré par l'exemple du. meurtrier ; car la nature fait partie de la providence, mais elle n'est pas la providence.

Ainsi donc, les uns attribuent à la nature et à l'intelligence, la providence des choses particulières. Les autres disent que Dieu veille à la conservation des êtres, pour empêcher que rien de ce qui a été créé ne périsse; et ils ajoutent que c'est en cela seulement que consiste la providence divine. Pour les choses particulières, ils prétendent que le hasard seul en décide. De là vient qu'il y a parmi les hommes tant d'injustices, tant de meurtres, et pour le dire en un mot, telle est la cause de toutes les mauvaises actions des hommes. Il résulte aussi du même hasard que les uns évitent le châtiment, que d'autres le subissent, et que les choses ne se passent pas selon la droite raison et selon la loi.

Mais, dira-ton, puisque ni la loi, ni la raison ne sont observées, comment peut-on penser que Dieu prenne soin des choses. Car il arrive presque toujours que les gens de bien sont traités avec injustice, qu'ils sont persécutés et accablés de maux ; tandis que les méchants et les oppresseurs obtiennent la puissance, les richesses, les dignités et tous les autres biens de la vie.

Il me semble que ceux qui parlent ainsi ne savent guère apprécier les vues de la providence, et qu'ils oublient surtout que l'âme est immortelle. Ils la considèrent comme mortelle, et ils renferment dans les limites de cette vie tout ce qui doit arriver à l'homme. Ils portent aussi des jugements très inexacts sur les divers biens. Car ils regardent comme heureux et dignes d'envie ceux qui possèdent de grandes richesses, qui brillent par les honneurs, qui jouissent avec insolence des autres biens terrestres ; et ils méprisent les biens de l'âme, qui sont pourtant fort au dessus des biens corporels et extérieurs, puisque les biens les plus importants sont ceux qui ont rapport aux choses les plus importantes. Or, les vertus sont aussi supérieures aux richesses, à la santé, et aux autres biens de ce genre, que l'âme est supérieure au corps.

Les vertus rendent donc l'homme heureux, soit qu'il les possède toutes seules, soit qu'il y joigne d'autres biens. Unies aux autres biens, elles en augmentent la jouissance ; seules, elles procurent un bonheur plus intime et plus absolu. Car il est des choses qui consistent dans une valeur absolue, comme, par exemple, une double coudée; il en est d'autres qui consistent dans un assemblage, comme, un monceau. Si vous ôtez deux médimnes d'un monceau, le restant sera encore un monceau : de même, si du bonheur qui résulte d'un assemblage de biens, vous retranchez ceux qui sont corporels et extérieurs, le bonheur subsistera néanmoins : car la vertu toute seule suffit pour rendre heureux. Tout homme vertueux est donc heureux; et tout méchant est malheureux, quand bien même il posséderait tous les dons de la fortune.

Mais la plupart des hommes, méconnaissant cette vérité, ne regardent comme heureux que ceux qui possèdent les richesses et les biens corporels. Ils accusent donc la providence qui administre les choses humaines, non seulement en vue des biens apparenta, mais d'après la connaissance exacte qu'elle a' des choses.

Ainsi, Dieu sachant qu'il est avantageux à un homme qui a maintenant une conduite sage et 'vertueuse de demeurer dans la pauvreté, et que les richesses lui feraient perdre sa vertu, il le laisse pauvre, dans son propre intérêt. Voyant aussi qu'un homme riche deviendrait fort méchant s'il venait à perdre ses richesses, puisqu'il commettrait des vols, des meurtres et d'autres crimes, il le laisse jouir de ses richesses. Il nous a donc été quelquefois avantageux d'être pauvres, de perdre nos enfants, et de voir nos serviteurs s'enfuir : car il nous eût été plus nuisible de garder nos biens que de les perdre, nos enfants seraient devenus méchants, et nos serviteurs fripons. Ne sachant pas ce qui doit arriver, et ne voyant que le moment présent, nous ne pouvons pas porter un jugement exact sur ce qui arrive : tandis que Dieu voit l'avenir comme s'il était présent.

Mais nous avons assez disputé contre ceux qui ne veulent pas admettre la providence, et à qui l'on peut foire l'application de ces paroles de l'Écriture Sainte : « L'argile dira-t-elle au potier, etc. » Comment ne fuirait-on pas avec horreur un homme qui s'élève contre la loi de Dieu, et qui se déclare l'ennemi de la providence ; lui qui n'oserait seulement pas se mettre en opposition avec les lois humaines? Laissant donc de côté ces erreurs ou plutôt ces blasphèmes, montrons que l'on ne peut pas, raisonnablement, contester à la providence le soin des choses particulières, et admettre en même temps que les choses universelles et générales dépendent d'elle.

On ne peut nier que de trois façons le pouvoir de la providence sur les choses particulières; on dira donc : Dieu ne prend pas connaissance de ces choses, parce qu'il est indigne de lui de s'en occuper; ou bien, il ne le veut pas; ou encore, il ne le peut pas. Mais d'abord, l'ignorance et l'imprévoyance ne sauraient se trouver dans l'être souverainement heureux ; puisqu'il est lui-même la sagesse et la science. D'ailleurs, comment Dieu pourrait-il ignorer une chose qui n'échapperait pas à un homme de sens, savoir, que si tout le particulier venait à périr, l'universel périrait aussi, puisque l'universel est formé de la réunion des choses particulières. L'universel est donc égal à la somme de tout le particulier : ce que l'on dit de l'un se dit réciproquement de l'autre, leur destruction et leur conservation sont intimement unies. Or, rien n'empêche que toutes les choses particulières ne périssent, si aucune providence divine ne veille sur elles : mais si elles périssent, l'universel périt aussi. Si l'on dit que la providence de Dieu veille sur les choses particulières, mais seulement pour empêcher leur destruction totale, et pour prévenir ainsi la destruction de l'universel, ne voit-on pas que l'on convient que les choses particulières sont soumises à la providence, puisqu'elle s'occupe de ces choses, pour conserver les espèces et les genres.

On dit encore que Dieu n'ignore pas ce qui a rapport aux choses particulières, mais qu'il ne veut pas s'en occuper. Or, s'il ne le veut pas, cela doit tenir à l'une de ces deux causes : ou la paresse l'empêche de sortir de son repos, ou il juge cette occupation indigne de lui.

Mais, quel homme de bon sens pourrait accuser Dieu de paresse? Car la paresse, elle-même, procède ou de l'amour du plaisir, ou de la crainte. En effet, lorsque nous nous laissons aller à la paresse, nous y sommes portés par un certain plaisir ; ou bien la crainte nous détourne de l'action. On ne peut supposer à Dieu, ni l'un ni l'autre de ces motifs.

Laissant de côté la paresse, on dira donc qu'il ne juge pas digne de lui le soin des choses particulières, parce que son bonheur serait troublé s'il abaissait ses regards sur ces choses petites et viles, et qu'il croirait se souiller en intervenant dans nos affections corporelles et dans les sottes actions que nous faisons en vertu de notre liberté.

Ne devrait-on pas remarquer que l'on suppose ainsi Dieu capable de deux choses fort laides, savoir : l'orgueil et la souillure ? car alors c'est l'orgueil qui fait dédaigner au Créateur la direction et le soin des choses particulières, ce qui est une supposition absurde ; ou bien il veut éviter la souillure, comme on le prétend.

Mais puisque l'on convient que le soleil n'est pas souillé parce qu'il attire toutes les vapeurs; et que ses rayons conservent leur éclat et leur pureté, bien qu'ils soient en contact avec la boue; comment peut-on penser que Dieu puisse être souillé par les choses d'ici-bas? Il faut n'avoir aucune connaissance de la nature divine pour le croire. En effet, Dieu échappe nécessairement à tout contact, à toute destruction, à toute souillure , à toute modification ; car les souillures et les autres choses de ce genre ont rapport au changement. D'ailleurs, puisqu'un artisan quelconque, et surtout puisqu'un médecin, lorsqu'il s'occupe d'un ensemble, n'omet aucune .partie de son œuvre, et qu'il donne son soin même aux moindres détails, parce qu'il sait que chaque partie concourt à la perfection de l'ensemble ; ne serait-il pas de la dernière invraisemblance que Dieu, le créateur du monde, se montrât moins habile?

On dit ensuite : il le veut, mais il ne le peut pas. Comment ne voit-on pas qu'il est tout-à-fait absurde de prétendre que Dieu est sans force, et incapable de bien faire ? Au reste, on peut concevoir de deux façons que Dieu soit dans l'impossibilité de s'occuper des choses particulières; car cela peut tenir à ce que sa nature s'y refuse, ou à ce que ces choses échappent nécessairement à sa providence. Mais nos adversaires conviennent eux-mêmes que la nature divine ne se refuse pas à prendre soin des choses, puisqu'ils admettent que la providence s'applique à l'universel. Ensuite il n'est pas possible que les choses d'une médiocre importance échappent à l'action d'une puissance infinie : au contraire, cette puissance s'étend jusque sur les moindres, même sur celles qui échappent à l'observation sensible. Tout est donc soumis à la volonté divine, et c'est elle qui donne à toutes les choses, de la stabilité et de la perpétuité.

Ce qui montre encore que les choses particulières, et capables de multiplication, n'échappent pas à la providence, c'est ce qu'on voit dans certaines espèces d'animaux, qui sont dirigées par des chefs, et qui obéissent à une sorte de gouvernement. En effet, les abeilles, les fourmis, et la plupart des animaux qui vivent en troupes, ont des chefs auxquels ils obéissent. Mais c'est surtout dans la société humaine que l'on peut l'observer. Car l'on voit qu'elle s'est soumise à l'autorité et à la direction des législateurs et des princes. Puis donc qu'elle est capable de s'assujettir à cette autorité, comment pourrait-elle ne pas se soumettre à la providence du Créateur.

Une autre preuve incontestable du pouvoir de la providence sur les choses particulières, c'est que tous les hommes y croient naturellement. Car lorsque nous nous trouvons dans des circonstances difficiles, nous avons aussitôt recours à Dieu, et nous l'implorons par nos prières, parce que la nature nous révèle que nous avons besoin de son secours. Or, la nature ne nous inspirerait pas une chose qui serait en contradiction avec elle. Aussi, lorsque des malheurs ou des craintes nous arrivent subitement, nous invoquons l'assistance divine, avant même d'avoir eu le temps de nous reconnaître. Tout ce qui nous vient de la nature doit avoir pour nous une grande force de conviction, et l'on ne peut rien y objecter.

Sur quoi donc se fonde l'opinion de ceux que nous combattons? C'est d'abord sur ce qu'ils croient que l'âme ne survit pas au corps. C'est ensuite sur ce qu'ils ne peuvent pas comprendre l'intervention de la providence dans les choses particulières. Mais on doit être convaincu que l'âme est immortelle, et que tout ne finit pas pour l'homme avec la vie terrestre, en lisant ce que les plus sages des Grecs ont écrit sur la métempsychose, et ce que l'on a dit des diverses demeures assignées aux âmes, selon leur mérite, ainsi que des supplices qui peuvent leur être infligés. Bien que les opinions dont nous parlons pèchent en quelque chose, on peut toujours en conclure que l'âme subsiste encore après cette vie, et qu'elle reçoit alors le châtiment de ses fautes.

Mais si nous sommes incapables de comprendre exactement la manière dont la providence intervient dans les choses particulières, comme le déclarent ces paroles de l'Ecriture , « Combien il nous est difficile de comprendre vos jugements et de découvrir vos voies, » ce n'est pas une raison suffisante pour nier l'existence de la providence. En effet, personne ne s'avise de dire que la mer n'existe pas, non plus que le sable de ses rivages, parce que nous ne pouvons pas déterminer les limites de la mer, ni le nombre des grains de sable. De même, on ne nie pas l'existence de l'homme, non plus que celle des autres animaux, parce qu'on ne peut pas savoir au juste le nombre des hommes et celui des animaux. Les choses particulières sont innombrables pour nous, et les choses innombrables nous sont inconnues. Nous pouvons bien quelquefois concevoir l'universel, mais le particulier nous échappe toujours.

On peut observer dans chaque homme deux sortes de différences : l'une a rapport aux autres hommes; l'autre n'a rapport qu'à lui-même. Car tout homme est, chaque jour, bien différent de lui-même, pour la conduite, pour les objets de son étude, pour les désirs, et pour les accidents. Cet animal est fort changeant ; il se modifie très vite selon les besoins de la vie, et selon les circonstances. Il faut donc que la providence s'accommode à chacun, que son action soit variée, diverse, multiple, et assortie à l'infinie multitude des choses particulières. Mais, puisqu'elle doit s'accommoder à chacun dans chaque chose, tout en conservant son caractère propre, et que les différences des choses particulières sont infinies, il y a donc aussi une infinie variété dans les voies de la providence qui doivent être appropriées à ces choses, et cette infinie variété échappe nécessairement à notre intelligence.

Par conséquent, nous devons nous garder de rejeter la providence, parce que nous ne la comprenons pas suffisamment. En effet, les choses que vous regardez comme mal faites sont cependant produites par le Créateur, selon les lois de la plus haute raison ; mais comme vous ne con- 267 naissez pas ces lois, vous vous hâtez de blâmer ce qui en résulte. Il nous arrive donc pour les œuvres de la providence, la même chose que pour tout ce qui nous est inconnu. Nous en jugeons par de vaines conjectures, et nous prenons pour les œuvres réelles de la providence, des choses qui n'en sont que l'ombre et l'image.

Nous disons que certaines choses arrivent par la permission de Dieu. Mais cette permission peut s'entendre de différentes manières. En effet, Dieu permet souvent que le juste tombe dans le malheur, afin de mettre dans un plus grand jour la vertu qui est comme latente en lui : c'est ce qu'il a fait pour Job. D'autres fois il permet qu'une mauvaise action s'accomplisse, parce qu'il en doit résulter quelque chose de très grand et de très utile : ainsi, la croix a été pour les hommes un instrument de salut. Il permet aussi qu'un homme de bien soit persécuté , afin qu'il se maintienne dans ses bons sentiments, et que sa vertu ne se change pas en orgueil : c'est ce qu'il a fait pour Paul. Il semble de même oublier quelqu'un pour un temps, afin de le faire servir à l'amendement des autres, et que ceux-ci s'instruisent par son exemple : comme on le voit par Lazare et le riche. En effet, naturellement, lorsque nous voyons souffrir quelqu'un, nous nous humilions, comme l'a fort bien dit Ménandre : « Tes maux nous font craindre les Dieux. » Il semble encore sacrifier quelqu'un, pour qu'il serve à la gloire d'un autre, lorsque son mal ne vient point de sa faute ou de celle de ses parents : comme on en voit un exemple dans l'aveugle de naissance, qui a servi à la gloire du Fils de l'Homme. Il permet aussi que quelqu'un souffre, pour exciter le zèle des autres, afin que la glorification de celui qui a souffert devienne un stimulant pour ceux-ci, en leur faisant espérer de la gloire et des biens pour l'avenir : comme on le voit par les martyrs et par ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie pour leur patrie, pour leur famille, pour leurs maîtres, pour leurs enfants ou pour la foi jurée.

Si quelqu'un trouve qu'il est peu équitable que le juste souffre pour l'amendement des autres, qu'il sache que cette vie est un combat, et l'arène de la vertu. Par conséquent, plus les travaux seront grands, plus la couronne sera belle : car la récompense des travaux est proportionnée aux efforts que l'on a faits. Paul a donc souffert un grand nombre de maux, afin que le prix de sa victoire fut plus grand et plus magnifique.

Les œuvres de la providence sont donc toujours bonnes et convenables. Pour reconnaître que Dieu administre toutes choses de la manière la meilleure, la plus avantageuse, et la seule assortie à la nature, on n'a qu'à se bien pénétrer de ces deux vérités qui sont reconnues par tout le monde : Dieu seul est bon ; Dieu seul est sage. Parce qu'il est bon, il doit prendre soin des choses ; et parce qu'il est sage il dirige tout avec sagesse, et pour le mieux. Si donc il ne prend pas soin des choses, il n'est pas bon ; et s'il ne les administre pas bien, il manque de sagesse. Nous ne devons jamais perdre de vue ces deux points; nous ne devons donc jamais condamner les œuvres de la providence, et nous élever contre elle sans la connaître; nous devons prendre tout en bonne part, admirer toutes ses œuvres, croire que tout ce qu'elle fait est bon et convenable, quand bien même la multitude en jugerait autrement ; de peur de combler la mesure de nos blasphèmes par notre profonde ignorance.

Au reste, il est évident qu'en disant que tout est bien, nous n'y comprenons pas les mauvaises actions des hommes, ni les choses qui dépendent de nous, et que nous faisons nous-mêmes; nous ne parions que des œuvres de la providence, qui ne dépendent pas de nous.

Mais, dira-t-on, pourquoi des hommes de bien sont-ils mis à mort injustement, et sont-ils égorgés sans motifs ? Si c'est injustement, pourquoi la providence, qui est juste, ne l'a-t-elle pas empêché ? Si c'est justement, les meurtriers ne sont donc pas coupables ? Nous répondrons à cela que le meurtrier a commis une action injuste; et que celui quia été mis à mort a souffert justement, ou utilement. Justement, si c'est à cause de quelques mauvaises actions qui nous sont inconnues : utilement , si c'est parce que la providence a prévu qu'il ferait dans la suite de mauvaises actions, et qu'il n'était pas de son intérêt de vivre plus longtemps. Socrate et les Saints nous en fournissent des exemples. Quant au meurtrier, il est criminel: car il n'a pas donné la mort par les motifs que nous venons de dire, et il n'avait pas le droit de la donner, mais il y a été porté par des motifs coupables.

L'action dépend de nous : mais il ne dépend pas de nous de subir une chose : par exemple, d'être mis à mort. Aucune mort n'est à redouter, si ce n'est celle que le péché accompagne : comme on peut le voir par la mort des hommes justes. Mais la mort du méchant est toujours une chose terrible, quand bien même il meurt dans son lit, ou subitement et sans douleur, puisqu'il meurt dans le péché. Quoiqu'il en soit, le meurtrier est toujours coupable. En effet, par rapport à ceux qui sont mis à mort justement, il remplit l'office de bourreau ; par rapport à ceux qui sont mis à mort pour leur utilité, il se montre sanguinaire et féroce.

On doit raisonner de la même manière au sujet de ceux qui tuent leurs ennemis , ou qui les font prisonniers, et qui les soumettent ensuite aux plus durs traitements ; au sujet de ceux qui, poussés par leur cupidité, dépouillent les autres de ce qu'ils possèdent. En effet, il est vraisemblable que ceux qui ont été dépouillés, l'ont été pour leur avantage : mais ceux qui leur ont dérobé leur bien, n'en sont pas moins injustes. Car ils les ont dépouillés, non pas pour leur rendre service, mais parce qu'ils ont été poussés à cette mauvaise action par la cupidité.



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Chap. XLIV Barre_plume-179688c
Selon ThibauLt.
Oeuvre numérisée par Marc Szwajcer, sur le site remacle.org
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